
Fascination de Catherine Hardwicke est le premier volet littéraire de la saga à succès Twilight, que l’on ne présente plus tant elle est aussi aimée que détestée. Sortie en 2009 sur le grand écran l’adaptation de la romancière Stephenie Meyer n’a fait qu’augmenter la popularité de l’œuvre, l’inscrivant dans les annales des romances les plus célèbres et intemporelles du cinéma. Un prestige en demi-teinte, car souvent considéré comme un navet pour adolescentes fleur bleue ou célibataires désœuvrées. Or cette apparente simplicité ne serait-elle pas en réalité le masque d’une richesse sous-jacente, raison de son succès ?
Bella Swan (Kristen Stewart), Isabella de son vrai nom, se voit contrainte d’aller vivre chez son père dans la petite bourgade terne de Forks, dans l’État de Washington, après le déménagement de sa mère et de son beau-père. Une nouvelle vie qu’elle accueille avec un enthousiasme pour le moins modéré. Prête à se fondre dans son ennuyeuse routine, sa rencontre au lycée avec Edward (Robert Pattinson) membre mystérieux d’une famille qui l’est toute autant, va littéralement transformer son existence…
Bizarre, vous avez dit « Bizarre » ?
D’emblée, la ville qu’est Forks nouveau refuge de Bella, instaure au récit une tension pesante, presque dérangeante, tant la sensation d’étrangeté est palpable. Nichée au milieu des collines et apparemment peuplée de 3 000 citoyens, seule une poignée d’habitants arpente les rues et quelques rares commerces. Pratiquement coupée du monde, la ville paraît s’être imprégnée du secret qui l’habite, devenant à son image silencieuse, glaciale et vénéneuse. Le lycée véritable artère, cœur névralgique des prémices du récit, en est même saturé à l’extrême. Baignant dans une colorimétrie bleutée , tout, des murs, de la lumière, jusqu’aux moindres pores des visages, se voit affublé d’une pâleur maladive, comme si quelque chose ou quelqu’un faisait fuir la vitalité en ce lieu. Bella encore plus pâle presque plus fade que les autres, est donc au centre d’un état palpable et invisible, attirante et inconsciemment attirée par cette omniprésence mystique. Une atmosphère de plus en plus prégnante qui se ressent et qui se voit sur les personnages sortant de l’ordinaire, surtout sur ceux qui en sont la cause.
Une latente fascination en osmose à travers différents lieux
C’est dans le réfectoire, là où les sens sont en effervescence, qu’a lieu la première rencontre entre les deux protagonistes. Traversant une foule plus ou moins discrète, la fratrie Cullen fait son entrée ignorant avec superbe les étudiants au regard subjugué. La caméra, complètement soumise, les suit, les dévore, les isole aussi, démarquant d’emblée la séparation entre ces êtres solaires et les autres. Une attraction qui finit de captiver Bella lorsque pénètre le dernier des Cullen, Edward, dont la blancheur n’a d’égal que sa beauté ténébreuse. C’est le début de l’attraction, d’un désir pulsionnel qui échappe à leur conscience, les incitant à s’observer sans se connaître, sans se comprendre. Ironiquement, c’est dans un lieu de consommation immédiate et vitale que jaillissent les premières étincelles qui animeront plus tard le feu ardent de leur flirt dangereux. Leur seconde et véritable rencontre, plus longue et plus étrange encore, prendra racine dans un cours de biologie place forte de la logique scientifique et du rationnel auxquels ils échapperont.
Si ce passage signifie enfin le début de leur histoire, il installe également l’ambiance inattendue qui règnera entre eux. Puisqu’il s’agit tout de même d’un film américain, Bella, en protagoniste centrale qu’elle est, entre dans la salle et passe devant un ventilateur, cheveux au vent, au ralenti, évidemment. Un effet de mise en valeur bien connu, mais qui, en plus d’être exagéré, ne porte pas toujours ses fruits. Edward, assis à côté de la place destinée à Bella, se plaque la main sur le nez et la bouche, le regard noir. Un moment pour le moins comique, tant la froideur excessive d’Edward et la gêne saisissante de Bella – qui va jusqu’à sentir discrètement ses cheveux pour tenter de comprendre l’origine d’une réaction si virulente – annoncent en grande pompe la démesure qui va suivre dans leurs actions, notamment chez Edward.
À la fois risible et nécessaire, ce surjeu atteint son paroxysme lorsqu’il devient d’une vitalité absolue. Sur le parking gelé du lycée, leurs regards s’accrochent, mais leurs corps éloignés ne tentent pas de briser la glace. Mais comme dans toutes les histoires, un dérapage produit un rapprochement, ici représenté par une voiture en perte de contrôle fonçant sur l’héroïne. Un drame évité grâce à la vitesse et à la force du mystérieux jeune homme, dont l’interposition a sauvé Bella, mais en lui dévoilant partiellement sa nature surhumaine. Une démesure traîtresse qui dévoile les véritables désirs de rapprochement de chacun ; les lieux d’opposition deviennent alors des lieux de rapprochement.
Succomber à la tension de la tentation
Le jeu du suspense se lie à celui de la romance et Bella, avide de savoir, perce les dernières résistances mentales qui endiguent le secret d’Edward lors d’une confrontation en forêt. Un terrain où Edward est maître et chasseur, mais qui est aussi le lieu de discussion choisi par Bella. Une mise en confiance audacieuse et dangereuse, car contrairement au spectateur, elle connaît la nature vampirique d’Edward depuis peu. Perdue dans le silence assourdissant de la faune forestière, les masques se laissent tomber, et lentement les langues se délient. La musique, narrateur d’exception dans le récit, nous ensorcelle, charge l’air d’électricité tandis que la caméra curieuse tournoie autour des protagonistes, montrant un espace qui ne demande qu’à être rempli par les non-dits. La technique nous projette dans la scène avec les personnages devant et non derrière le quatrième mur. La réalisation et les choix de mise en scène ont eu un grand impact sur le rendu final, rendant le film nanardesque par moments, mais aussi terriblement immersif et « réaliste ». De plus, l’acceptation et la normalisation de l’étrange dans la diégèse du monde réel par la protagoniste – à savoir l’existence des vampires – offrent un résultat à la fois drôle et rafraîchissant. La révélation est souvent synonyme de conflits, d’offuscation et de surprise entre deux êtres ; ici, elle apporte la délivrance face à une insoutenable retenue.
L’hésitation d’une histoire entre romance originale et kitsch transcendantal
Aussi étrange que cela puisse paraître, ce sont les mêmes points qui font de ce premier volet de Twilight un chef-d’œuvre et un nanar à la fois. Une panoplie de comportements kitsch prévisibles avec Edward, le romantique torturé au regard ardent, et Bella, l’irrationnelle passionnée qui a bien du mal à ne pas laisser sa bouche entrouverte en permanence. Transis d’amour, ils sont beaux et ridicules à la fois, s’échangeant des tirades d’un romantisme exacerbé sur un ton solennellement dramatique.
Oui, leur histoire est fleur bleue, kitsch, bizarre et terriblement romantique. Mais peut-on demander autre chose de deux êtres qui viennent de tomber amoureux ? Et plus important encore, le veut-on ?
Ce film est un nanar magnifique, une ode à l’Amour trop scandée comme un scandale du goût. Ils sont dans leur bulle, dans leur univers, là où l’amour est transcendantal, bien au-dessus de l’étrangeté dont ils font preuve. Ils s’aiment, et même s’ils le montrent d’une manière qui fait sourire, elle n’en est pas moins d’une pureté romantique vertigineuse. Ils sont là l’un pour l’autre, investis, liés par des sentiments déferlants d’une force indomptable. C’est un plaisir coupable dont on ne se lasse pas, comme la saveur d’un bonbon trop sucré que l’on tolère par gourmandise.
Une révélation populaire rayonnant entre encre et lumière
Twilight est une romance fantastique flirtant avec plusieurs genres et nous transmet une foule d’émotions. Même si c’est une fiction peu crédible sur de nombreux points, la réalisation/mise en scène, le jeu des acteurs et l’histoire nous font pleurer de rire, pour qu’ensuite ce soient l’émotion et la beauté des sentiments amoureux qui nous saisissent. La troisième partie du film nous plonge dans une atmosphère dangereuse et angoissante où l’inquiétude et la peur font des montagnes russes dans nos cœurs. La suite de la saga est amorcée avec fluidité, entraînant le film sur une tension tout autre. La réalisation originale s’associe à une mise en scène fidèle au roman, faisant même référence plusieurs fois au livre (l’une des plus célèbres étant la scène où Edward tend une pomme à Bella, symbole de la couverture du livre).
Twilight est une adaptation réussie et fidèle par l’atmosphère qu’elle dégage, et n’a pas à pâlir (davantage) de la narration littéraire originale. Elle a su concrétiser en images les envies inavouables d’un large public encore trop fier d’accepter la popularité de ces nanars qui ont gagné nos cœurs. Comme le dirait André Bazin, « Le cinéma substitue à nos regards un monde qui s’accorde à nos désirs. », un désir nommé Twilight, doux rêve partagé d’un public conquis.
Laisser un commentaire