L'affiche du film Eddington

Eddington est le 4ᵉ long-métrage d’Ari Aster. Après les succès d’Hérédité et de Midsommar, le réalisateur revient avec un film qui risque de diviser à l’instar de Beau is afraid (son précédent film). Dans cette dernière œuvre, Ari Aster tente de dépeindre une Amérique sous tension qui penche progressivement vers le chaos : le pari est-il réussi ?

Ari Aster est un réalisateur qui aime casser les codes, ou du moins surprendre le spectateur avec des œuvres auxquelles il ne s’attendait pas initialement. Depuis l’époque de ses premiers court-métrages, où il abordait des situations douteuses (l’inceste notamment dans The strange thing about the Johnsons) jusqu’à Beau is afraid – un film anxiogène et lynchéen – le metteur en scène américain a toujours su se renouveler en tournant autour du même sujet : la famille.

Eddington ne rompt pas cette ligne éditoriale, pourtant il ne s’agit plus ici de sa thématique principale. En effet, Eddington est une petite ville du Nouveau-Mexique et Ari Aster se penche plus précisément sur Joe Cross (Joaquin Phoenix), le shérif du coin qui se présentera aux élections municipales en pleine pandémie de Covid. Bien que présente dans l’histoire, la situation familiale du protagoniste ne sera ici qu’un élément de contextualisation comme beaucoup d’autres thèmes abordés au cours du film. Un choix audacieux qui vaudra probablement au film de perdre bon nombre de ses spectateurs.

Make America Dumb Again

Eddington dure un peu moins de 2h30 et évoquera de très (trop) nombreux sujets au cours de ce laps de temps… Réseaux-sociaux, partis politiques, mouvement Black Lives Matter, restrictions sanitaires, l’anti-fascisme, les complotistes, tout trouve une place et s’entremêle dans ce film pour créer un gloubi-boulga de tensions.

Bien sûr, il s’agit ici d’un effet voulu par Ari Aster qui s’amusera à représenter les deux camps comme de parfaits imbéciles qui ne s’écoutent pas. On assiste ainsi à des conflits entre un shérif républicain qui ne respecte pas la loi en ne portant pas le masque et un maire démocrate (Pedro Pascal) qui ne le porte qu’en public pour appuyer sa stratégie de communication.

Un problème apparaît alors : à trop vouloir dépeindre les mauvais côtés de chaque camp, le film atterri dans l’entre-deux mollasson du « tous pourris ». Évidemment, Ari Aster montre par instant de quel côté il se situe (ou du moins vers lequel il penche), mais cela se fait toujours en creux, derrière un brouhaha d’informations.

Joaquin Phoenix menace Pedro Pascal dans Eddington
« Materialists, Eddington , les 4 fantastiques : tu peux laisser des rôles pour les autres Pedro ? »

The Covid within

Prenant place en mai 2020, Eddington replonge son spectateur en pleine pandémie de coronavirus. Grâce à ce choix temporel, Ari Aster peut à la fois profiter de cette époque où la fracture sociale était particulièrement forte (Black Lives Matter, restrictions sanitaires, etc.), mais aussi d’incarner physiquement la peur grandissante de l’autre dans ses personnages.

Cette période permet également à son réalisateur d’utiliser plusieurs canaux de diffusion dans son film et de varier sa mise en scène à chaque fois. Trend TikTok, visio Zoom, vidéo de complotistes sur des blogs, Ari Aster multiplie ingénieusement les manières de filmer les écrans et représente habilement leur omniprésence sans basculer dans le discours de boomer du « c’était mieux avant ».

Joaquin Phoenix regarde son téléphone

« LES extrêmes »

Dans le fond, Eddington montre les mauvais côtés des deux extrêmes politiques, leurs limites ou au contraire leur propension à passer à l’action. Mais cette représentation des extrêmes ne s’étend aussi à la forme !

Grâce à cette collaboration avec Darius Khondji (chef opérateur sur Se7en, Bardo, Mickey 17), Ari Aster passe d’une image brulée par le soleil du Nouveau-Mexique à un cadre ténébreux dès que la nuit tombe. Le metteur en scène varie aussi énormément les échelles de plans, passant du très large au rapproché (pour être au plus près des personnages et de leurs émotions). Ces variations de contraste ou de cadre viennent alors surligner le propos du film sur des extrêmes qui s’affrontent sans jamais tenter de se comprendre : ils s’opposent et point.

Joaquin Phoenix dans sa voiture dans Eddington

Un trop-plein vain ?

Où va le film ? Cette question risque de trotter dans la tête de nombreux spectateurs tant Eddington parle de tout et n’importe quoi dans sa première heure, exposant en même temps toutes les thématiques et tous les personnages ! C’est trop et certains personnages (notamment ceux d’Emma Stone et Austin Butler) paient fort le prix de ce surplus en disparaissant au milieu du film avant de réapparaître à la fin juste pour boucler des arcs narratifs abandonnés en cours de route.

Il en est de même pour la dernière longue demi-heure qui surexplique le « tous pourris » établi durant l’entièreté du film en y apportant une notion cyclique, mais vient aussi plomber le rythme du film qui tire sur la longueur…

Joaquin Phoenix au téléphone dans Eddington

Ari Aster tente ! Aussi imparfait et lourd que soit Eddington, il apporte un vent de fraîcheur au milieu des productions actuelles, un regard peu commun et une réalisation ingénieuse à un film qui sera, a minima, aussi clivant que le précédent (cf Beau is afraid).