
Second film d’un réalisateur à l’ascension vertigineuse, Pulp Fiction s’inscrit comme l’un des films de gangsters les plus culte du 7ème art, par l’originalité désarmante de son intrigue, ainsi que par sa mise en scène.
Sorti en 1994, le film prolonge la filmographie de prestige des films de gangster des années 90, se plaçant en maillon entre deux classiques « Les Affranchis » (1990) et « Casino » (1995) tous deux du célèbre Martin Scorsese. Cependant, Quentin Tarantino apportera à sa seconde création une singularité propre à son style, éloignée des classiques.
Ce n’est pas une histoire de gangster, mais plusieurs que le réalisateur réunit dans ce film en suivant trois aventures, celles de deux hommes de main Vincent et Jules (John Travolta, Samuel L. Jackson), de Butch, un boxeur en cavale (Bruce Willis), ainsi que celles d’un couple de malfrats Jody et Pumpkin (Rosanna Arquette et Tim Roth). Jonglant entre les récits avant d’en dévoiler la fin, la vie des gangsters est dressée à travers plusieurs portraits, tous plus loufoques les uns que les autres. Bien que le monde d’Hollywood soit grand, l’univers des bandits lui est plus petit ; les personnages font parfois irruption dans les histoires des autres, s’entrechoquant dans une finalité sanglante. Ces aventures, bien qu’elles soient la trace de parcours différents entre individus qui ne se connaissent pas, s’entremêlent par leur présence dans les mêmes lieux, nous révélant par le montage qu’elles se déroulent en réalité dans la même temporalité.
Une narration brillamment illustrée lors de la scène de fin où les deux gangsters en costard entrent dans un restaurant. Alors que l’un des deux s’éclipse, la caméra le suit quelque temps avant de s’arrêter sur un couple bien familier. Le décor, les personnages, leurs dialogues frappent immédiatement l’esprit : le duo vient d’entrer dans une scène qui était présentée au début du film du point de vue du couple. Autre scène mémorable avec l’arrivée de Vincent chargé d’éliminer Butch dans son appartement, ce qui donna lieu à une rencontre aussi courte que sanglante.

Si l’histoire est à ce point déstructuré, c’est que l’enjeu se concentre avant tout sur les dialogues. Brisant la règle qui consiste à montrer plutôt qu’à dire, l’intrigue guide la trajectoire des personnages sans pour autant les contrôler. Des bribes d’informations livrent quelques fragments de contexte, sans plus, toujours grâce aux dialogues.
Très bavard et en toute situation, que ce soit au restaurant ou au beau milieu d’une exécution, les discussions vont bon train ; débats lunaires, dialogues de sourds et embrouilles inutiles, leurs contenus n’est pas celui auquel on pourrait s’attendre venant de voyous. Entre raisonnements manichéens et réactions au premier degré, ces échanges sont le résultat d’une collision entre violence normalisé et comique absurde. Mettant néanmoins au grand jour entre deux idioties, quelques failles bien choisies sociales du système américain (ravage de la drogue, omerta criminelle, sous paiements de classes défavorisés, corruption…) . Intéressante mais inutile, une partie considérable de ses discussions n’apporte généralement rien à l’avancée du récit : le non-sens fait loi et ce(ux) qui semble avoir une histoire ou une certaine contenance n’en sont que façade.
C’est le cas pour la tirade biblique de Jules, l’un des gangsters en costard, qui révèle en fin de film que cet extrait qu’il prononce avant de tuer n’a comme raison d’être que « par ce que ça en jette de dire ça avant de flinguer un mec ». Une phrase d’ailleurs sortie a Pumpkin alias « Ringo » qui après la preuve de clémence accordé par Jules part la tête basse avec sa compagne. Parlant précédemment comme de fin stratèges, prêt à devenir les Bonnie and Clyde du moment, leur discours de dangereux truands n’étaient alors que du vent.

Tout est amené pour se concentrer sur ce que disent les personnages dont les paroles sont portées par une mise en scène à l’esthétisme prononcé. Le cadrage parfois placé de façon inattendue, la longueur des plans et le rythme du récit offrent une vision particulière de l’œuvre. Tout, de leur moindre geste à leurs joutes verbales aussi philosophiques qu’excentriques, est à la portée contemplative et réflexive du spectateur. Le dynamisme modéré du film par ses plans longs, statiques et à distance de ses protagonistes les présente sans mystère. Or, si le non-sens est leur réalité, ce qui alimente une foule d’interactions chez eux, c’est la quête d’un but, la recherche d’une destinée.
Butch, le boxeur en fuite, revient sur ses pas au péril de sa vie pour récupérer une montre familiale, le couple de bandits spécule en quête des meilleurs coups sans risque, Jules, le gangster, s’imagine devenir voyageur après avoir vécu un « miracle ». Qu’il soit hérité du passé, sollicité par le présent ou pensé dans l’avenir, le besoin de sens et d’une voie à suivre palpite en chacun d’eux. Seul Vincent ne semble pas en quête de repères, peut-être est-ce dû au fait qu’il est long à la détente, mais rapide au tir, des caractéristiques simplistes qui suffisent à son bonheur. L’irrationalité dans laquelle se trouvent les personnages du récit est normalisée. Mais si leur préoccupation et leur but diffèrent de ceux des autres gangsters fictifs, c’est là que réside toute la particularité du film.
Des truands que leur milieu n’affecte pas, insensibles à la fiction qui leur a donné vie, traçant loin des sillages de sang, le chemin d’une autre réalité.
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