Inspiré d’une histoire vraie et remake du long-métrage hongkongais Internal Affairs, sorti en 2002, Les Infiltrés de Martin Scorsese est un film brutal et pessimiste dans un Boston gangréné par la violence, et porté par un casting cinq étoiles. Sorti en 2006, le film de Scorsese fait partie des plus importants de sa riche filmographie, en témoigne son Oscar du meilleur film glané en 2007.

L’histoire se déroule à Boston, alors que la mafia irlandaise dirigée par Frank Costello (Jack Nicholson, dont l’aura menaçante et magnétique plane sur l’entièreté du film) contrôle les rues de la ville. Ce dernier repère un jeune garçon nommé Colin Sullivan (Matt Damon), et tente de lui faire comprendre comment le monde fonctionne. Plusieurs années plus tard, Sullivan intègre la police, tout en travaillant toujours pour le compte de Frank Costello. Dans le même temps, Billy Costigan – interprété par Leonardo DiCaprio -, qui faisait partie de la même promotion que Sullivan, intègre de son côté l’unité chargée des infiltrations de la police de Boston, qui tente de mettre fin à l’hégémonie de la mafia de Costello. Un chassé-croisé va alors s’opérer.

L’anti rêve américain

Scorsese présente ici deux mondes qui sont supposés être radicalement différents, mais qui semblent plus proches que jamais par la violence qui les caractérise. Il démarre – et finit – son film par un pessimisme masqué par un montage énergique et virtuose (les deux heures et demie du film passent à toute vitesse), mais qui est bel et bien présent : dès son plus jeune âge, Colin est influencé et corrompu par Frank, et voit en lui une figure paternelle.

Ce pessimisme sous-jacent est le fil conducteur du long-métrage, qui entre en contradiction avec une esthétique colorée et une ambiance punk-rock. Scorsese filme la corruption, la violence, les angoisses, la mort avec un regard presque désabusé, une certaine ironie, qui reflète le contexte socio-économique dans lequel les personnages évoluent ; un véritable contre-pied au “rêve américain”, et un retour violent à une réalité crasse : une Amérique brisée, profondément divisée (les insultes racistes, homophobes volent de tous les côtés, que ce soit dans les deux camps), où la recherche du pouvoir se fait par tous les moyens possibles et inimaginables. Scorsese présente une violence systémique omniprésente, dans toutes ses formes, qu’elle soit physique, verbale, psychologique, ou sociale, caractérisée par ses personnages dysfonctionnels.

Une masculinité toxique exacerbée

Ces personnages, tous plus pourris les uns que les autres, sont le reflet d’une Amérique meurtrie. Essentiellement masculin, le casting se régale de dialogues obscènes, immatures, censés asseoir leur dominance. Au sein même de la police bostonienne, les conflits se règlent à coups-de-poings, à coups d’insultes. Scorsese en fait une critique acerbe du système policier aux Etats-Unis, entre discrimination et violence, qui ronge le système depuis la racine ; impossible de faire confiance à qui que ce soit, même au sein de la police.

Cette masculinité toxique se traduit notamment par la quasi-absence de personnages féminins. Le seul protagoniste féminin développé du film, la psychiatre Madolyn, jouée par Vera Farmiga, représente une sorte de lien spirituel entre Colin Sullivan et Billy Costigan malgré leurs trajectoires diamétralement opposées ; le premier étant le bon élève, qui obtient une promotion dans la police tout en ayant les bonnes grâces de l’homme le plus influent de la mafia bostonienne, tandis que le second est un homme brisé, angoissé, qui tombe dans la violence pour garder sa couverture intacte et dans l’addiction aux médicaments. Ces deux personnages vont finalement se rapprocher petit à petit jusqu’à un dénouement inévitable.

Frank Costello est également une figure vers laquelle les deux personnages convergent, les liant indirectement, par son aura menaçante, sa soif de pouvoir et sa volonté de contrôle. La performance satanique de Jack Nicholson fait ressentir la violence non seulement physiquement, mais également dans ces moments de dialogues, de tension entre lui et d’autres personnages. Scorsese le met en scène comme un véritable tyran, poussant parfois la colorimétrie à l’extrême pour en faire une figure diabolique. Le cinéaste réalise ici un long-métrage moralement baroque d’une violence physique, psychologique et sociale inouïes, un chassé-croisé entre deux hommes issus de la même école mais aux trajectoires totalement différentes. Jamais Martin Scorsese ne tombe dans une certaine forme de manichéisme en filmant une ville de Boston gangrénée par la corruption, livrant un regard âpre sur le paysage politique américain qui résonne toujours à l’heure actuelle.

Le scénario témoigne de ce pessimisme angoissé, notamment grâce à la trajectoire des personnages. Frank Costello le dit lui-même au début du film : “Quand j’avais ton âge, on disait : tu peux devenir flic, ou criminel. Mais quand tu fais face à un flingue chargé, quelle est la différence ?