
Pour ceux qui l’ont vécues, et qui étaient intéressés par ce genre de choses à l’époque, les années 80 et 90 furent sources d’innovations immenses dans le cinéma. Ces technologies, qui font aujourd’hui partie des outils très courants du 7ᵉ art, évoluaient en suivant celles de l’électronique et de l’informatique, dont la plupart étaient issues. Après une dizaine d’années de films courts et d’expérimentations variées dans l’infographie et l’animation en images de synthèse 3D, d’évolution exponentielle de la puissance des ordinateurs et de chute subséquente de leur prix, le temps était venu de tenter l’aventure d’un premier long métrage entièrement fabriqué à l’aide de ces nouvelles machines ? Bien entendu, le cinéma étant un business, il fallait de l’argent, de l’expérience en animation, mais aussi du sang neuf et de la nerditude en masse.
C’est là que John Lasseter intervient. Viré de chez Disney en 1988 après un pitch refusé, John, qui avait été époustouflé par les possibilités narratives de l’animation par ordinateur après avoir vu Tron, rêvait de réaliser le premier long-métrage en 3D et partit avec son scénario chez la toute nouvelle compagnie pionnière du genre créée par Steve Jobs d’Apple : Pixar.
6 années de développement et une bonne vingtaine d’itérations plus tard suite à un partenariat difficile avec Disney, le scénario de Toy Story est enfin finalisé. Quelques célébrités d’Hollywood, tel un jeune Joss Whedon (Buffy contre les vampires, Firefly), y participèrent activement et sont créditées des caractéristiques majeures du film, comme le choix contrasté des personnages principaux (cowboy vs astronaute) ou secondaires (les adorables martiens aux trois yeux). Toutes les dernières avancées technologiques furent mises à contribution pour la création des images époustouflantes. Le moteur de rendu Renderman de Pixar était mis à jour quasi quotidiennement et la batterie d’ordinateurs spécialisés Silicon Graphics, Sun Microsystems et même PC sous Linux, n’arrivaient tout de même à générer que 30 secondes utiles par jour ! La génération totale des images du film a pris environ 800 000 heures de travail machine, et tout ça sans compter les enregistrements sonores, le mixage, etc. Quelques projections tests et des dernières retouches pour faire plaisir à la souris, et le film sort enfin le 19 novembre 1995 avec Tom Hanks et Tim Allen à la voix des deux héros : Woody et Buzz Lightyear.
Le long-métrage est un énorme succès immédiat, chez les critiques autant que chez le public. Il rapporte presque 10 fois son budget de 30 millions de dollars, et lance la collaboration révolutionnaire des films d’animation en images de synthèse 3D que l’on connait maintenant entre Pixar et Disney (Cars, Nemo, Monstres & Cie, Les Indestructibles…), qui durera une bonne quinzaine d’années jusqu’à ce que le studio historique commence à produire ses propres films animés par informatique avec, entre autres, Frozen et Wreck-it Ralph.
Alors bien entendu, vu l’âge avancé de Toy Story, le film peut apparaitre un peu désuet technologiquement en comparaison avec ses successeurs des 10 dernières années, comme Toy Story 4 ou Lightyear par exemple, qui présentent des rendus de décors pseudoréalistes impressionnants. Mais ce qui a fait le succès public n’est pas tant la qualité technologique que son thème et son scénario ultratravaillés qui ont vibré en quasi-résonance avec non seulement des millions d’enfants de 1995 jusqu’à aujourd’hui, mais aussi leurs parents : la nostalgie de l’enfance pour les adultes, et l’humanisation des jouets par nos petites têtes blondes.
Mais imaginez voir le film sur grand écran en 1995… Bien sûr, le facteur « J’ai vu le premier long métrage d’animation entièrement généré par ordinateur de l’histoire du cinéma » était énorme pour une grande partie du public, mais si en plus le film était excellent, et à 10 000 lieues de tout ce qui se faisait dans le genre à ce moment, alors le statut de légende était quasi acquis. Les aventures de Woody et Buzz sont maintenant connues dans le monde entier. Des millions de jouets ont été écoulés. Le slogan favori de Buzz, « Vers l’infini et au-delà » a été répété par des millions de bouches enchantées. Pixar a fait fortune, puis a été racheté par Disney en 2006 suite à une dispute sur les droits de distribution de leurs œuvres par le géant de l’audiovisuel, et le reste fait partie de l’histoire du cinéma d’animation, avec un grand H. La marque Pixar est toujours synonyme de grande qualité cinématographique avec seulement de très rares et récentes déceptions (Elio, Turning Red, Luca…), que les experts attribuent au départ de John Lasseter de l’entreprise qu’il a tant contribué à lancer et élever.
Les studios vont et viennent, naissent et meurent, innovent et se reposent sur leurs lauriers, mais les grands films marquants demeurent, et Toy Story en fait définitivement partie.





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