Huit longues années après son dernier film Detroit (2017), qui raconte une rafle policière en 1967 sur fond de ségrégation raciale dans la ville éponyme des États-Unis et dont la sortie a été grandement chaotique, la réalisatrice Kathryn Bigelow nous revient avec A House of Dynamite (directement sorti sur Netflix après sa présentation à la Mostra de Venise, malheureusement), film de guerre à suspense qui part d’un postulat simple : et si la guerre froide n’avait jamais pris fin ? Que se passerait-il si un missile nucléaire se dirigeait tout droit vers l’une des villes les plus peuplées des États-Unis ?

C’est sur de telles prémices que s’ouvre le dernier long-métrage de la cinéaste américaine, autrice notamment de Zero Dark Thirty (2012), ou encore Démineurs (2009), qui se spécialise donc souvent dans le film de guerre ou le thriller. Questionnant sans relâche le monde dans lequel nous vivons, gangréné par la guerre, la paranoïa et l’intimidation, Bigelow explore notamment de l’intérieur les systèmes de défense américains, dans le but de les décortiquer et de nuancer leur supposée infaillibilité.

Des personnages vulnérables et perfectibles

À travers trois points de vue différents de la chaîne de défense américaine, incarnés principalement par la capitaine Olivia Walker (Rebecca Ferguson), à la tête de la Situation Room de la Maison-Blanche, le général Anthony Brody, commandant du STRATCOM en lien avec Jake Baerington (Gabriel Basso), conseiller adjoint à la sécurité nationale, et le président des États-Unis (Idris Elba), Kathryn Bigelow remonte donc la chaîne de commande américaine, confrontée à une menace sans précédent sur Chicago.

Grâce à ces trois cheminements, la réalisatrice américaine s’attelle à ce qu’elle sait faire le mieux : construire un suspense haletant, de manière crescendo. L’introduction donne d’emblée le ton du film, avec un thème musical sinistre, angoissant et envahissant. La musique est d’ailleurs omniprésente durant l’entièreté du long-métrage, un mélange intense (parfois indigeste) de sons, d’envolées lyriques et de bruit en tout genre, renforçant l’immersion et la tension de plus en plus grandissante.

Kathryn Bigelow met en scène des personnes ordinaires en apparence, avec leurs propres vies personnelles et chacun rattaché à un lien familial, mais qui possèdent des fonctions et des positions extrêmement stressantes au sein de la chaîne de commande. La réalisatrice s’attache à montrer les failles de ses personnages qui n’hésitent pas à exprimer leurs émotions, et se sentent parfois dépassés par les événements, rattrapés par leurs immenses responsabilités au sein du gouvernement. Bigelow ne cherche pas à représenter des protagonistes indestructibles, mais perfectibles, mettant un contrepied à l’archétype du personnage fort généralement mis en scène dans les films d’action à l’américaine.

Copyright Eros Hoagland/NetflixStars Idris ElbaFilm A House Of Dynamite
L’ambiguïté comme leitmotiv

Le long-métrage est une autopsie grandeur nature de la représentation hollywoodienne fantasmée au cinéma. Désireuse de ne pas tomber dans la toute-puissance américaine, Kathryn Bigelow évite tout manichéisme et représentation à deux dimensions. Ici, pas de méchants désignés ; personne ne sait qui a lancé un missile nucléaire en direction des États-Unis, et pas vraiment de gentils bien définis non plus, alors que les Américains se préparent à riposter violemment sans savoir d’où provient réellement la menace.

L’ambiguïté est donc au cœur du long-métrage de la réalisatrice américaine, décidée à pousser le spectateur à se questionner. Obsédée par la violence (la traque de Ben Laden dans Zero Dark Thirty, la ségrégation raciale dans Detroit), Bigelow donne à cette dernière une forme plus psychologique, moins spectaculaire, mais pas moins impactante. Elle donne à son thriller politique une dimension fortement humaine et s’amuse à redistribuer les cartes, à jouer avec l’attente et les questionnements du spectateur avec ses ramifications scénaristiques, jusqu’à un final qui fera jaser (et qui fait déjà beaucoup parler), dans le but de sensibiliser sur les menaces nucléaires qui planent sur notre monde. Si cette fin va surprendre et diviser, force est de constater que le retour de Kathryn Bigelow après huit ans d’absence est plutôt réussi.