Premier film de la réalisatrice Eva Victor, qui a également scénarisé le film et interprétée le rôle principal, Sorry, Baby est un film poignant, d’une sincérité rare et d’une justesse folle sur la solitude et les traumas.

Le film se concentre sur le personnage d’Agnès, jeune doctorante en littérature qui vit dans le Massachusetts, aux États-Unis, et qui subit un grave traumatisme. Elle tente de se reconstruire, isolée de la civilisation, grâce à son amitié indéfectible avec Lydie et sa relation avec son voisin Gavin. Eva Victor s’était précédemment fait connaître en faisant des vidéos humoristiques sur X (anciennement Twitter), avant donc de se lancer à la réalisation de son premier film, produit par Barry Jenkins (Moonlight). Présenté au festival de Sundance et à la Quinzaine des cinéastes à Cannes, le long-métrage est directement inspiré de l’expérience personnelle de la néo-réalisatrice, et aborde un thème grave et nécessaire à traiter à travers un récit non-linéaire : le viol.

Copyright A24Stars Eva VictorFilm Sorry, Baby

L’isolement, vecteur de la mise en scène

À travers cinq chapitres distincts, Sorry, Baby nous plonge donc dans l’intimité d’un personnage brisé. Agnès, enfermée dans son isolement, semble toujours à l’écart d’un monde qui avance sans elle. Passé, présent et futur se mélangent, ajoutant à la désorientation du protagoniste et ses questionnements.

Plutôt que de montrer la violence crasse d’un tel acte, la caméra de la réalisatrice nous laisse à distance. Dans une séquence qui semble suspendue dans le temps. Le spectateur est comme tenu à l’écart, à l’extérieur d’une maison qui paraît soudainement terrifiante. Ne tombant jamais dans le pathos, le film impressionne par sa puissance psychologique et par sa retenue, laissant l’audience éprouver de l’intérieur la détresse et la solitude d’Agnès. Cette solitude est souvent exprimée à travers la mise en scène d’Eva Victor, qui redouble de surcadrages – que ce soit par l’embrasure de portes, de vitres ou de fenêtres – qui traduisent la sensation d’enfermement et d’éloignement du monde. Vivant recluse, seule au cœur de la forêt américaine dans son ancienne colocation avec Lydie. Agnès est en recherche constante de confort. L’isolement de cette dernière se ressent également à travers le paysage qui l’entoure et à cette colorimétrie froide et grise.

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Tantôt intimiste, avec des plans rapprochés et presque intrusifs, tantôt pudique – notamment lors de la principale séquence du long-métrage, avec ce plan d’ensemble de la funeste maison -, la caméra de la réalisatrice sait se mettre en retrait aux moments opportuns, le but ici n’étant pas de choquer, mais de sensibiliser tout en offrant au personnage – et à l’audience – une voie de guérison, car si le thème du film résonne par sa gravité, le long-métrage réchauffe le cœur par son ton léger et tendre, ces moments intimes, spontanés et drôles qui agissent comme un moyen thérapeutique pour la victime. Le ton du film oscille entre drame et comédie, offrant des moments de respiration et de flottement.

Sorry, Baby s’aventure sur un thème très délicat, mais le traite avec sagesse, sensibilité et justesse, avec un regard sincère sur le traumatisme et la manière dont chacun tente de s’en sortir, en refusant de tomber dans des artifices dramatiques pour se focaliser sur une approche sobre et profondément humaine. Assurément le coup de cœur de l’année.