
Il arrive comme une déflagration. Tony Montana, tout juste débarqué de Cuba, cicatrice en travers de la gueule. Dès les premiers dialogues Tony, donne le ton, on ne lui donne pas d’ordre, on ne lui donnera plus d’ordre. La balafre est évoquée dès les premiers plans. Elle est un étendard, elle ne s’excuse pas. Elle s’impose. Pour De Palma, c’est plus qu’une marque : c’est un manifeste. Tony sorti de son île est prêt à bouffer le monde. Brian De palma vous l’a ferré en une séquence.
Le film ne transige pas sur cette incroyable ascension. Tony le moins-que-rien, « la macaque » est avide de reconnaissance. C’est un trou noir qui aspire toutes les opportunités, même s’il faut tuer pour y arriver. Il veut briller, éclairer le monde et tout rafler, sa devise : « le monde est à vous ». Il va alors phagocyter tous ceux qui vont lui donner sa chance. Il est opportuniste et est guidé par une force vive, il ne retournera pas en prison ni dans les bas-fonds. Pendant ce temps, tout lui réussit, il a l’intelligence du terrain dont il est issu. Fini les chemises bariolées cubaines, Tony s’habille en costumes de toutes les couleurs jusqu’au blanc à son apogée et en bleu pour l’espoir.

Il convoite alors Elvira la femme de son patron. Elvira Hancock. Michelle Pfeiffer en Belle glacée, visage lisse, parfait, sans un défaut pour accrocher la lumière. Un doux clin d’œil de De Palma aux blondes d’Hitchcock (Hancok-Hichcok). Elle ne transpire pas. Elle ne flanche pas. Elle est tout ce que Tony n’est pas : polie, filtrée, taillée pour la vitrine. Deux mondes se toisent. Deux mythologies s’affrontent. La Bête brutale et la Belle intouchable. Tony construit sa légende de truands et s’édifie un château dans lequel il est roi. Les couleurs changent, on passe du blanc flamboyant au rouge vif de sa maison et au noir cérusé d’or de son bureau dans lequel il trône sur un fauteuil où les initiales TM s’entrechoquent.
En arrière-plan, un autre mythe gronde : Icare. Tony grimpe trop vite, trop haut, les ailes collées à la poudre blanche. “The world is yours” clignote dans le ciel comme un soleil qui l’aveugle. Il croit que l’ascension est infinie, que le monde entier peut être forcé à le reconnaître. Chez De Palma, voler trop près de la lumière, c’est se consumer.
« Je viens des bas-fonds, je le sais. J’ai rien. Mais c’est pas une raison pour y rester »
Après tout son travail, sa richesse, Tony n’est pas reconnu, il est craint. L’ange de la mort grimpe à son balcon et le crucifie.
Brian de Palma fait de sa chute une séquence baroque, excessive, inévitable. La Bête rugit une dernière fois. Icare tire sur tout ce qui bouge. Et quand il tombe, criblé, c’est toujours le même visage : balafré, fier, offert aux regards. Pas de rédemption. Pas de métamorphose. Juste une légende qui se consume devant nous, et qui sait qu’on ne l’oubliera pas.
Un film qui n’a pas vieilli sur ces thèmes et qui est devenu un symbole pour beaucoup de petits gangsters en mal de reconnaissance (ont-ils vu la fin ?). Tony Montana incarne aussi un masculinisme toxique qui, vu aujourd’hui, sonne comme un vestige embarrassant d’une époque où la virilité s’affichait en domination, argent et possession des corps. Sa vision des femmes, trophées décoratifs qu’il contrôle autant qu’il surveille, reflète une peur viscérale de la perte de pouvoir, plus qu’un désir réel. Ce besoin maladif, de tout posséder, y compris sa sœur, traduit un rapport pathologique à la féminité : elle n’existe pas comme sujet, mais comme extension de son territoire et tout ceci le perdra, car contrairement à Manny, son fidèle parmi les fidèles, il ne sait pas évoluer. Ce qui va le dévorer de l’intérieur.

On peut voir nombre de références à Scarface dans les films de truands, gangsters, mafias. De Palma a fabriqué un film culte sur ce besoin de reconnaissances des plus démunis. Chacun s’y reconnaîtra avec cette envie d’enlever la princesse et de l’enfermer dans un château comme seul objectif final…
Et après… La chute sera plus belle.
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